Les Loups Noirs

Pierre Rieffel a fondé en 1976 avec deux camarades, René Woerly et Ewald Jaschek, le Elsässische Kampfgruppe die Schwarzen Wölfe, abrégé EKSW ou « groupe de combat alsacien les loups noirs » en français.
Ce groupe militant, inspiré par les activistes du Südtirol et révolté par l’ethnocide des Allemands de France, a mené plusieurs actions entre 1976 et 1981 pour revendiquer les droits linguistiques et culturels des Alsaciens.

Mais leur passage à l’acte a aussi été motivé par des griefs personnels des trois protagonistes envers la France, particulièrement pour le fondateur du groupe.

 

Dessin figurant le groupe militant alsacien.

 

Les persécutions de l’état

Pierre Rieffel est né et a grandi dans une petite commune du Weilertal (francisé aujourd’hui en Val de Villé), Breitenbach. Son père était le maire du village en 1938, et a jugé qu’il était de son devoir de rester maire sous l’administration allemande.

Bien mal lui en a pris, puisqu’au moment de la libération, le prêtre du village, exilé ailleurs et non à Dachau grâce à l’intervention du maire auprès des autorités allemandes, a fait interner son bienfaiteur au Struthof (camp de concentration à Natzweiler en Alsace), avec plus de 1000 autres Alsaciens, souvent internés sur la base de simples dénonciations.

 

Le camp d’internement du Struthof en 1945, où fut enfermé le père de Pierre Rieffel.

 

Le jeune Pierre Rieffel, qui n’a alors que seize ans, chausse ses skis et brave l’hiver sur un trajet de six heures afin de porter des vivres à son père. Le gardien du camp l’ayant aperçu, l’adolescent est passé à tabac et laissé pour mort dans la neige, sauvé et ramené chez lui par des soldats américains.

Vont s’ensuivre des années éprouvantes, où les biens de la famille seront confisqués et le jeune Pierre harcelé.
La jeunesse du futur activiste a donc été marquée de persécutions et d’injustices commises par la France, et déjà il a juré de se venger lorsqu’il serait assez fort pour le faire. Les « moutons noirs » Alsaciens deviendront des loups.

 

Les actions des Schwarzen Wölfe

Pierre Rieffel mène d’abord des actions individuelles dans les années 70, notamment une campagne dans son village pour s’opposer à la francisation des noms des rues. Inspiré par les actions radicales des Allemands du Südtirol pour obtenir leurs droits et leur autonomie de l’Etat italien, il crée avec deux autres camarades ayant eux aussi leur passé de persécutions avec l’Etat français l’EKSW.
Ensemble, ils vont mener des actions violentes contre des symboles français en Alsace.

Le groupe va tout d’abord incendier le musée du camp du Struthof et y inscrire « 27 janvier 1945 », soit la date à laquelle plus de 1100 Alsaciens ont été internés dans le camp par les autorités françaises dans des conditions abominables, épisode fréquemment passé sous silence lors de la visite du musée du camp.

 

Graffiti laissé par le groupe lors d’une action.

 

Les trois compères vont ensuite dynamiter l’infâme monument érigé à la gloire de Turenne à Türckheim le 9 décembre 1980. Ce monument est en effet considéré par les Alsaciens conscients comme une verrue célébrant les massacres dont s’est rendu coupable le Maréchal dans la région durant l’annexion de l’Alsace par la France.

Mais leurs actions les plus célèbres ont sans aucun doute été les plastiquages, par deux fois, de la croix de Lorraine du Staufen, sommet des Vosges surplombant la ville de Thann dans le sud de l’Alsace.
En effet, l’EKSW considérait à juste titre ce monument comme une provocation contre l’Allemagne et un rappel éternel de la haine contre la nation allemande, puisqu’il avait été érigé volontairement de façon à être visible depuis la plaine d’Allemagne et comportait une stèle avec l’inscription :

« Face à l’envahisseur notre fidélité à bravé la force, trois siècles en témoignent : 1648-1948. ».

 

La croix de Lorraine du Staufen, dynamité pour la seconde fois en 1981 à Thann.

 

L’EKSW laissera une lettre sur les lieux de l’attentat, rédigée en allemand, dans laquelle ils réclament l’enseignement de la langue allemande dans chaque classe, lieux privilégiés de la francisation et de l’interdiction de la langue endogène, l’allemand. Les membres du groupe seront finalement arrêtés peu après et condamnés à des peines d’amende et deux ans de prison ferme pour le fondateur.

 

Garder la mémoire

Pierre s’est ensuite retiré dans sa distillerie de son village natal, Breitenbach, d’où il a toujours été bienveillant envers les mouvements autonomistes. Rappelons enfin que ces attentats n’ont jamais fait de blessés, conformément à la volonté de leurs auteurs.

Pierre Rieffel, le dernier Loup Noir, s’en est finalement allé paisiblement le lundi 24 octobre 2022 à l’âge de 94 ans.

Tous ceux qui ont l’Alsace au cœur sont reconnaissants envers ces militants qui ont tant sacrifié pour leur Heimat. N’oublions jamais la dernière phrase de leur lettre de revendication, envoyée aux DNA après le second plastiquage de la croix du Staufen :

« Wir wollen sein ein freies Volk, in eigenem Land. »

(Nous voulons être un peuple libre dans notre propre pays !)

Rieffel aux obsèques de son camarade, Ewald Jaschek.

 

Gute Fahrt zum anderen Ufer, Peter.

Erwin Glücksbringer

 

Bibliographie :

  • Pierre Rieffel, Mein Leben für das Elsass, Gerhard Hess Verlag, 2017.
  • Bernard Fischbar, Roland Oberlé, Les Loups noirs : Autonomisme & terrorisme en Alsace, éditions Alsacia, 1990.