Courte introduction
Le Neuer Wanderbund se rendit le 21 mai dernier sur les contreforts des Vosges pour visiter la petite ville d’Andlau et en percer les mystères, lors d’une journée ensoleillée qui éveilla notre esprit avide de découvertes.
Je fus chargé lors de cette journée de la mission de faire découvrir à nos membres l’étendu du mythe qui réside en ces lieux et qui, à l’instar d’innombrables histoires, est délaissé face à l’importance non négligeable du magnifique milieu viticole et montagneux qui enveloppe la ville, de ces châteaux anciens qui la fortifient et de son architecture qui l’ennoblit.
Ce mythe, c’est celui de Sainte Richarde et de son abbaye, sans lequel les Andloviens, au cours de ces longs siècles d’histoire, n’auraient pas été poussés à bâtir tant de grands édifices et à façonner de si beaux paysages.
Il y a sans nul doute en ces lieux une force qui échappe à ses nombreux visiteurs qui ne conçoivent plus la marche et la contemplation comme les supports d’accession à l’esprit foisonnant des ancêtres qui, transcendés par une foi inébranlable, firent perdurer en ces montagnes, par leurs œuvres et leurs combats, les traces de la merveilleuse discipline qui les élevait.
Si mes camarades ont souvent à cœur de conter les épopées guerrières qui ont marqué l’histoire des vallées que nous visitons, j’ai fait le choix de parler d’un miracle, celui d’Andlau, la Magnifique, véritable source d’énigmes et de magie.
Au commencement
Le miracle dont il est question découle de l’immense œuvre de Sainte Richarde qu’on ne peut occulter en évoquant l’histoire d’Andlau ; une femme à la vie qui mélange souvent légendes hypostasiées et réalité historique.
Mais avant de décrire son œuvre et nous affranchir sur ses bienfaits, voyons d’où vient cette fameuse Richarde qui porte en elle le sang d’une fort noble lignée ; un récit qui pourrait en étourdir plus d’un tant elle fait de ce lieu paraissant anecdotique aujourd’hui un joyau d’histoire.
Richarde, née en 840 de notre ère, était la fille du comte de Nordgau, Erchaugart. Il était lui-même descendant d’Adalric, le père de sainte Odile, dont le mont très reconnu, qui porte son nom, est surmonté par l’abbaye de Hohenbourg.
Selon la légende, Odile aurait fait naître en frappant la roche de son bâton une source d’eau à qui nous prêtons des vertus de guérison pour les aveugles. C’est une information importante, ou dirais-je complémentaire à la suite de notre histoire.
Et Richarde devint impératrice
Richarde se maria en 862, à l’âge de 22 ans, avec l’empereur Carolingien Charles III, dit Le Gros, fils de Louis le Germanique.
Ce dernier est l’un des petits-fils de Charlemagne, qui ont procédé au partage de son empire en 843. Il est à considérer comme le premier souverain allemand puisqu’il fut désigné roi de Bavière et premier roi de Francie orientale.
Charles Le Gros, disions-nous, prit Richarde pour épouse. La future sainte eut une très bonne influence sur son mari, si bien qu’ils formèrent ensemble plusieurs communautés religieuses. C’est dans cette perspective que Richarde reçut l’abbaye d’Etival, près de Saint-Dié, et les revenus de nombreux couvents tels que les abbayes de Seckingen, de Zurich, de Saint-Martin de Pavie et de Bonmoutier.
Charles le Gros devint roi d’Alémanie au moment où sa santé commençait à se gâter et il dut, en conséquence, céder une large partie de son pouvoir à Richarde, secondée dans sa mission par l’évêque de Vercelli (ville du Piémont italien), Luitvard, qui prit le rôle de conseiller et fut aussitôt nommé chancelier du royaume.
Le prestige des deux époux monta au pinacle alors que Charles III était considéré comme le souverain le plus puissant d’Occident, après la mort de ses deux frères, puisqu’ils furent appelés par le pape Jean VIII afin d’être couronnés empereur et impératrice à Rome.
Une conspiration ?
Les œuvres de Richarde éveillèrent toutefois les convoitises et les controverses chez ceux qui l’entouraient ou partageaient de similaires prérogatives.
Le grand tournant de la vie de Richarde se déroula après l’un de ses voyages en Terre sainte, lorsqu’elle apporta une relique du crâne de Lazare et qu’elle en fit don à l’évêque Luitvard ; ce qui éveilla bien évidemment l’indignation des princes, conduits par le comte de Souabe, le chevalier rouge. Ensemble, ils la soupçonnèrent d’entretenir une relation coupable avec l’évêque dont la relique attachée à son cou était une preuve accablante.
Bouleversé par cette situation, notamment parce que fort influencé par les princes en qui il croyait profondément, l’empereur Charles bannit l’évêque Luitvard au jugement de Kircheim en 887, Richarde démontra son innocence en passant le jugement de Dieu qui consistait à demeurer sur des braises sans se brûler mais fut tout de même répudiée par son mari qui corrobora sa volonté par le fait que le mariage n’était pas encore consommé.
Richarde retrouva alors son Alsace natale et se retira dans l’abbaye familiale.
Miracle, ours et abbaye
C’est ainsi que nous entrons dans le vif de notre sujet, celui qui donne à la ville d’Andlau toute sa portée magique.
Tout débuta lorsque Richarde, réfugiée au Mont-Sainte-Odile, entendit lors d’une prière une voix qui lui ordonna de se rendre dans la forêt d’Andlau en laquelle elle devait fonder une église dédiée au Christ à l’endroit où un ours grattait le sol. Lors de notre visite de la basilique d’Andlau, les membres de notre Bund purent apercevoir dans la crypte la cavité qui représente l’endroit où cet ours grattait le sol afin d’y enterrer son petit et auquel, selon la légende, sainte Richarde rendit la vie.
Nous parlions plus haut de la complémentarité assez amusante entre le Mont-Saint-Odile, auquel nous prêtons des vertus de guérison pour les aveugles, et l’histoire de sainte Richarde. Il se trouve que jusqu’au XIXe siècle les Andloviens attribuèrent à l’abbaye d’Andlau des vertus de guérison, notamment pour les maladies de jambes, les maux de têtes et même les problèmes d’infertilité !
L’ours est devenu au fil du temps le symbole de la fondation d’Andlau et est fréquemment représenté dans la ville. Ce qui n’est pas que symbolique puisqu’il a habité les passions andloviennes durant plusieurs siècles, si bien qu’une coutume obligeait les boulangers qui commerçaient à Andlau à fournir un pain par semaine à l’ours résidant dans l’abbaye.
Comme l’a justement souligné l’historien Hubert Bender, dont nous ne manquerons pas de citer l’œuvre qui nous a inspirés à la fin de cet article, cette histoire d’ours à Andlau n’est pas sans rappeler l’histoire héroïque de Romulus et Remus nourris par une louve pour donner une fondation à Rome.
Les montreurs d’ours jouissaient d’un droit de cité à Andlau jusqu’au jour où l’un de ces animaux tua une petite fille au XVIIIe siècle.
Si nous parlons depuis le début de miracle et de spiritualité, souvent assimilés à un travail seulement porté sur soi-même et non plus sur l’ensemble d’une cité, il n’en demeure pas moins que le couvent permit à Andlau de rayonner au-delà des frontières puisque ses possessions se multiplièrent : en Lorraine, la région de Dabo et l’abbaye d’Etival, Bonmoutier dans les Vosges, ainsi que dans notre Heimat les domaines de Marlenheim, Meistersheim et Bergheim.
Andlau, source d’inspiration
C’est en 1049, après plus d’un siècle et demi d’épopée fantastique, lors de la consécration de l’église abbatiale Saints-Pierre-et-Paul d’Andlau par le pape alsacien Léon IX, que Richarde fut canonisée et laissa ainsi une trace indélébile de son passage dans notre monde.
Notre Bund aperçut d’ailleurs lors de son passage la châsse métallique qui contient le corps de sainte Richarde derrière l’autel de la basilique.
Que retenir de cette histoire héroïque, sinon l’admiration qu’elle nous renvoie ?
Il n’est pas rare d’entendre dire que l’histoire romancée fausse notre perception des évènements, nous rend bien trop rêveurs, point assez lucides et que, pour être crédibles aux yeux du large public, il faut s’employer à raconter l’histoire en se gardant bien d’être passionnés.
La traversée d’Andlau est pourtant le contre-argument parfait à toutes ces affirmations et rend crédible la force supérieure que donne chacune des légendes qui nous parviennent.
Si leurs conteurs enjolivent souvent ces récits, les dramatisent, au point de dénaturer l’ordre naturel, comme si les feuilles de l’automne pouvaient défier les lois de la gravité, il n’en demeure pas moins que l’humanité a toujours été bercée d’idéaux qui montre sa volonté de toujours surpasser l’homme imparfait qui sommeille en elle-même.
Car la transcendance est constitutive de la nature humaine et notre époque ne le contredit nullement tant elle est bercée de ses dérives égalitaires dans une perspective qui ne laisse plus aucune place à Dieu, certes, puisque l’homme n’aspire plus à la hauteur mais à sa propre opulence.
À la manière de l’historien romain Titus Livius, qui soutenait la thèse de la création de Rome par une louve, nous ressentons le désir d’affirmer que :
« C’est un privilège de l’Antiquité de mêler les choses divines et humaines, de rendre plus augustes les origines des villes par l’intervention des divinités. Ces légendes, peu importe l’œil avec lequel on les considère, peu importe le jugement que l’on porte sur elles, moi je ne les mettrai pas en discussion ».
Nous conclurons cet article en renvoyant nos lecteurs vers deux sources qui nous ont inspirés pour cette courte rédaction : d’une part Hubert Bender, dont nous avions déjà parlé, et son livre Andlau la magnifique (aux éditions Coprur, 2007) et, d’autre part, Auguste Stöber, Légendes d’Alsace, qui est l’un de nos livres de chevet.
Merci à tous de votre attention,
Vielen Dank, dass Sie mir Ihre Zeit geschenkt haben,
D’r Seppi